Comment les CTO/DSI transforment leur posture pour faire grandir leurs équipes.
Introduction
Vous avez mis des années à devenir excellent technicien. Vous résolvez les problèmes complexes, vous connaissez l’architecture mieux que quiconque, vous êtes respecté pour votre expertise.
Puis on vous propose de passer CTO ou DSI. Et là, vous découvrez une réalité inconfortable : votre équipe attend moins vos solutions techniques que votre capacité à les faire grandir.
Pendant les 6 premiers mois, vous continuez comme avant. Vous résolvez les problèmes. Vous imposez les solutions. Vous contrôlez la qualité. Résultat ? Votre équipe stagne. Elle attend vos ordres. Les idées remontent peu. Et les enjeux transverses ? Impossible, chacun reste dans son coin.
C’est le moment de la distinction.
La transformation IT ne se joue pas seulement sur la technologie. Elle se joue sur la posture de celui qui la dirige. C’est la différence entre un gestionnaire technique et un leader facilitant.
Dans cet article, je vous partage les 5 postures clés que j’ai observées chez les CTO/DSI qui réussissent vraiment leurs transformations — et comment vous pouvez les adopter vous-même.
La distinction — "Expert technique" vs "Leader facilitant"
Le gestionnaire technique (mode ancien)
Vous reconnaissez-vous ?
- Vous résolvez les problèmes vous-même : Plus rapide et mieux fait
- Vous imposez les solutions : Vous savez ce qui est correct, pourquoi perdre du temps en débat ?
- Vous valorisez l’expertise technique : Le meilleur code, la meilleure architecture
- Vous déléguez peu : Peur du résultat, peur que ça ne soit pas à la hauteur
- Vous communiquez par directives : “On fait comme ceci”, pas de questions
- Feedback dominant : “C’est bien” ou “C’est mal”
Résultat observable :
- Équipe dépendante (elle attend les solutions)
- Peu d’autonomie (elle exécute, ne pense pas)
- Peu d’innovation (elle suit les ordres)
- Turnover élevé (pas d’évolution perçue)
- Vous êtes le goulot d’étranglement (tout passe par vous)
Le leader facilitant (mode nouveau)
C’est quoi, la différence ?
- Vous posez des questions : “Comment tu vois ça ?”, “Quelle est ta solution ?”
- Vous coconstruisez : L’équipe trouve les solutions, vous clarifiez la direction
- Vous valorisez l’apprentissage : Le processus prime sur le résultat parfait
- Vous déléguez progressivement : Avec confiance et support
- Vous communiquez par intention : “Voici où on va, à vous de trouver comment”
- Feedback constructif : “Tu as fait X, impacts Y et Z. Prochaine fois, essaie Z”
Résultat observable :
- Équipe autonome (elle pense et propose)
- Innovation régulière (elle expérimente)
- Rétention forte (elle a l’impression de grandir)
- Vous gagnez du temps (vous n’êtes plus le goulot)
- Résilience : l’équipe peut continuer sans vous
Les 5 postures clé du leader facilitant
Voici les 5 postures que j’ai vues faire la différence. Elles ne s’apprennent pas à l’école. Elles se pratiquent.
Posture 1 : De "celui qui sait" à "celui qui apprend avec l'équipe"
L’ancienne posture :
“J’ai 20 ans d’expérience. Voici comment on architecture un système cloud. Écoutez et appliquez.”
La nouvelle posture :
“Nous avons besoin d’une architecture cloud. J’ai des idées, mais je veux aussi vos perspectives. Comment voyez-vous ça ?”
Pourquoi c’est puissant :
- Votre équipe se sent écoutée (engagement immédiat)
- Elle apporte des idées que vous n’auriez pas vues
- Elle s’approprie la solution (elle l’a coconstruite)
- Elle apprend en même temps (elle comprend le pourquoi)
Un exemple concret :
Avant : “On va migrer vers Kubernetes. Voici l’architecture. Commencez à vous former.”
Après : “On a besoin de se moderniser. Kubernetes est une piste. Mais avant ça, parlons : qu’est-ce qu’on cherche vraiment à résoudre ? Scalabilité ? Coûts ? Agilité ? Et vous, comment vous verriez la solution ?”
Vous remarquez ? Vous n’imposez plus. Vous clarifiez ensemble.
Posture 2 : De "commander" à "clarifier l'intention"
L’ancienne posture :
“Tu vas faire X, puis Y, puis Z. Appelle-moi si t’as des questions.”
Micro-management déguisé. Résultat : l’équipe exécute, elle ne pense pas.
La nouvelle posture :
“On a besoin que ce système soit scalable pour dix fois la charge, et sécurisé pour les données patient. Comment tu structurerais ça pour atteindre ces objectifs ?”
Pourquoi c’est puissant :
- Vous clarifiez le pourquoi et le quoi, pas le comment
- L’équipe a de la liberté (autonomie = motivation)
- Les solutions sont souvent meilleures (plusieurs cerveaux)
- Vous libérez du temps pour des vrais problèmes
Un exemple concret :
Avant : “Configure le load balancer avec ces specs, déploie sur ces serveurs, ajoute ces alertes.”
Après : “Nous avons besoin d’une disponibilité 99.9% et d’une performance stable sous pics de charge. Qu’est-ce que tu mettrais en place ?”
Soudain, la personne propose une meilleure solution que celle que vous aviez en tête.
Posture 3 : De "solutionner" à "aider l'équipe à solutionner"
L’ancienne posture :
Quelqu’un vous apporte un problème complexe. Vous sortez la solution en 5 minutes. Problem solved. Mais l’équipe ? Elle n’a rien appris.
La nouvelle posture :
Quelqu’un vous apporte un problème. Vous posez des questions :
- “Quel est le vrai problème derrière ?”
- “Quelles solutions avez-vous exploré ?”
- “Pourquoi celle-ci n’a pas marché ?”
- “Quel serait votre approche, si vous aviez ma confiance ?”
Et puis… vous laissez l’équipe solutionner.
Pourquoi c’est puissant :
- L’équipe développe sa capacité à résoudre les problèmes
- Elle devient résiliente (peut continuer sans vous)
- Elle ose innover (parce qu’elle n’est pas paralysée par votre expertise)
Un exemple concret :
Avant :
Équipe : “On a un problème de performance en production. Les requêtes DB prennent 5 secondes.”
Vous : “Ah, c’est l’index manquant sur la colonne users.email. Ajoute-le.”
Équipe : “OK, merci !”
Après :
Équipe : “On a un problème de performance en production. Les requêtes DB prennent 5 secondes.”
Vous : “OK. Vous avez regardé où le goulot ? Vous avez tracé la requête ? Qu’est-ce que vous voyez ?”
Équipe : “Hmm, les logs montrent que c’est sur la table users. Peut-être un index manquant ?”
Vous : “Bonne piste. Vous l’avez vérifiée ?”
Équipe : “Pas encore. On le fait.”
Résultat ? L’équipe a trouvé et compris la solution elle-même. Et elle répétera ce processus prochaine fois.
Posture 4 : De "valideur unique" à "catalyseur de décisions"
L’ancienne posture :
Toute décision technique passe par vous. Aucune déploiement sans votre OK. Aucun changement sans votre avis.
Résultat ? L’équipe attend. Vous êtes le goulot. Et vous êtes stressé.
La nouvelle posture :
Vous établissez un cadre clair : voici nos principes, voici les risques à éviter, voici comment on décide.
Ensuite, l’équipe décide à l’intérieur de ce cadre, sans vous demander la permission.
Pourquoi c’est puissant :
- Les décisions sont plus rapides (pas d’attente)
- L’équipe prend de la responsabilité (elle assume ses choix)
- Vous vous libérez du contrôle (énergie pour les vrais enjeux)
- La culture évolue (on peut essayer, échouer, apprendre)
Un exemple concret :
Avant :
“Quel framework de front-end on utilise ? Attendez ma réponse.”
“Quelle base de données pour ce projet ? Je dois vérifier.”
Après :
Vous clarifiez : “Voici nos principes : robustesse, maintenabilité, performance. Voici les technologies reconnues. Pour ce projet, à vous de choisir le framework et la base qui font le mieux sens. Justifiez juste vos choix dans l’ADR [Architecture Decision Record].”
Résultat ? L’équipe choisit, documente, avance. Et vous n’êtes impliqué que si c’est vraiment critique.
Posture 5 : De "excellence technique" à "excellence collective"
L’ancienne posture :
Vous valorisez le meilleur codeur, le plus brillant architecte, celui qui sait le plus de frameworks.
Résultat ? Les autres se démoralisent. Les juniors ont peur de proposer. Les egos s’enflent.
La nouvelle posture :
Vous valorisez :
- Celui qui aide les autres
- Celui qui partage son expertise sans égo
- Celui qui pousse l’équipe vers plus haut
- Celui qui ose dire “j’ai essayé, ça n’a pas marché, voici ce j’ai appris”
Pourquoi c’est puissant :
- Culture de partage (pas de silos)
- Innovation collective (plusieurs cerveaux plutôt qu’un)
- Engagement : tout le monde se sent utile
- Vous identifiez les futurs leaders (ceux qui émergent par le partage)
Un exemple concret :
Avant :
Vous félicitez : “Alex a livré ce micro-service seul, avec une architecture parfaite. C’est ça, l’excellence !”
Implicitement : seul, brillant, pas besoin des autres.
Après :
Vous félicitez : “Samantha a aidé 3 personnes à déboguer le système transverse. Elle a documenté son processus. Résultat : plus aucun goulot d’étranglement sur ce type de problème.”
Implicitement : elle a fait grandir l’équipe.
Les freins courants — et comment les dépasser
Si vous avez reconnu votre ancienne posture ci-dessus, bravo. Mais voici les freins qui vous retiendront.
Frein 1 : "Si je ne fais pas, ça ne sera pas bien fait"
C’est le frein le plus courant. Et c’est normal.
La racine du problème :
- Vous avez bâti votre réputation sur l’excellence technique
- Vous avez peur de la médiocrité
- Vous avez besoin de contrôle
La réalité :
- Votre équipe peut faire 80%. C’est souvent suffisant.
- Ce qu’elle perd en perfection, elle le gagne en apprentissage
- Vous économiserez énormément de temps à long terme
Comment dépasser ce frein :
- Commencez par un projet ou un domaine sans enjeu critique
- Acceptez le 80% (c’est OK pour apprendre)
- Mesurez le résultat après 2-3 mois
- Constatez : l’équipe s’est améliorée, et vous avez gagné du temps
Frein 2 : "J'ai pas le temps d'accompagner, j'ai trop à faire"
La racine du problème :
- L’urgence court terme (3 mois) prime sur le bénéfice long terme (12 mois)
- Vous êtes débordé
La réalité :
- Accompagner prend du temps maintenant
- Mais ça économise ÉNORMÉMENT de temps après
- Les calculs : 10 heures d’accompagnement = 50 heures gagnées plus tard
Comment dépasser ce frein :
- Réallouez vos priorités : si vous êtes le goulot, c’est un problème
- Identifiez ce que seule vous pouvez faire (vraiment stratégique)
- Déléguez le reste, même “mal”
- Bloquez 5-10 heures/mois pour du coaching vrai
Frein 3 : "Je ne sais pas comment faire. Ça c'est RH"
La racine du problème :
- Vous n’avez jamais appris le coaching ou le leadership
- Vous supposez que c’est inné
La réalité :
- C’est une compétence. Ça s’apprend.
- Les meilleurs leaders que vous connaissez ont appris
- Il existe des formations, des mentors, des pairs
Comment dépasser ce frein :
- Suivez une formation : manager coach, leadership bienveillant, communication
- Trouvez un mentor : quelqu’un qui l’a fait et peut vous montrer
- Pratiquez avec des pairs : débriefez régulièrement avec d’autres leaders tech
- Commencez maintenant, pas quand vous saurez tout
3 tactiques pour faire la transition
Vous êtes convaincu ? Voici comment commencer.
Tactique 1 : Auditer votre posture actuelle
Honnêtement, répondez à ces questions :
Sur le temps :
- Combien d’heures par semaine vous passez à solutionner des problèmes techniques directement
- Combien d’heures à accompagner votre équipe sur leur résolution de problèmes ?
- Quel ratio idéal vous voudriez ? (Ex : 40/60 solutionner/accompagner?)
Sur l’autonomie de l’équipe :
Quand un problème arrive, qui le résout ? Vous ou l’équipe ?
- Combien de décisions technique votre équipe prend sans vous ?
- L’équipe vous apporte-t-elle des problèmes ou des solutions ?
Sur l’innovation :
- Combien d’idées remontent de votre équipe par mois
- Avez-vous testé une idée de l’équipe au lieu de la vôtre ? Quand ?
- L’équipe ose-t-elle proposer, ou elle attend vos ordres ?
Sur la qualité des gens :
- Avez-vous des juniors qui deviennent seniors (vraiment autonomes) ?
- Ou vous les perdez après 2-3 ans ?
- Avez-vous identifié des futurs leaders dans votre équipe ?
Ces questions vous donnent votre point de départ.
Tactique 2 : Commencer par un projet pilote
Ne révolutionnez pas tout d’un coup. C’est trop.
Choisissez :
- domaine / équipe / projet
- Idéalement sans enjeu ultra-critique (vous pouvez vous tromper)
- Durée : 2-3 mois
Exemple : “Sur le projet DevOps, je vais tester le coaching au lieu du management direct.”
Pendant ces 2-3 mois :
- Pratiquez la Posture 3 (poser des questions au lieu de solutionner)
- Déléguez les petites décisions
- Écoutez vraiment
- Acceptez les erreurs
Après 2-3 mois, évaluez :
- L’équipe a-t-elle grandie
- Les délais se sont-ils améliorés ou dégradés ?
- L’engagement a-t-il changé ?
- Vous avez-vous gagné du temps ?
Si ça marche, vous étendez. Si ça ne marche pas, vous ajustez.
Tactique 3 : Se former + avoir un miroir externe
C’est crucial. Vous ne ferez pas cette transition seul.
Formation à chercher :
- Coaching & co-développement (pour apprendre les techniques)
- Leadership bienveillant (pour le mindset)
- Communication non-violente (pour les conversations difficiles)
Miroir externe :
- Un coach (privé ou organisationnel)
- Un mentor (quelqu’un dans l’organisation qui a fait cette transition)
- Un pair (un autre leader tech qui fait la même transition)
Pourquoi c’est essentiel :
- Le changement de posture est difficile (vous avez 20 ans d’habitudes)
- Vous avez des angles morts (vous ne les voyez pas)
- Feedback régulier = la seule façon d’accélérer
Un cas détaillé — La DSI Santé
Voici comment ça s’est déroulé pour une structure que j’ai accompagnée.
Le contexte
Grande structure sanitaire : 80 collaborateurs IT, organisation construite par la fusion d’entités, fonctionnement en silos. Nouvelle initiative : simplifier le parcours du patient via un guichet unique, ce qui nécessite un projet transverse.
Enjeu : plus de 5 systèmes doivent communiquer ensemble. Gros projet, 18 mois prévus, budget conséquent.
Les symptômes avant
- Chaque responsable domaine en silo : Responsable domaine 1 = fief personnel
- Aucune communication inter-domaines : pas de réunions de gouvernance
- Les décisions ne se prenaient jamais : aucun engagement des responsables
- Meetings sans fin : Escalade et escalade
- Retards qui s’accumulaient : Dépendances non gérées
- Équipes frustrées : “DSI ne comprend rien au métier”
Risque réel : Le projet n’aboutirait pas
Le diagnostic
En profondeur, le problème n’était pas technique. C’était la posture des 7 directeurs de domaine :
- Chacun restait en mode “expert technique, dans mon domaine”
- Peu d’autonomie donnée aux équipes (tout passait par le top management)
- Zéro co-construction transverse (chacun défendait ses frontières)
Résultat : rigidité organisationnelle.
L'intervention
3 axes simultanés :
Axe 1 : Leadership du directeur de programme
- Coach extérieur pour un travail sur la posture de leader
Axe 2 : Leadership facilitant des 7 directeurs
- Séances de co-développement 2 fois par mois
- Coach extérieur (pour faciliter les séances et apporter du feedback)
Axe 3 : Framework décisionnel clair
- Qui décide quoi ? Escalade uniquement si vraiment besoin
- Chaque responsable prend les décisions dans son domaine
- Ensemble, on communique et on s’engage sur les actions
Les résultats (6 mois)
- Communication fluide à tous les niveaux, retards ont diminués
- Équipes autonomes : idées remontées régulièrement
- Projet livré avec un retard contenu
- Transformation durable : la culture transverse persiste
Ce qui a vraiment changé
Le changement clé n’était pas dans les outils ou les processus. C’était la posture des leaders.
Quand les 7 directeurs ont adopté le coaching et l’autonomisation (Posture 1, 2, 3), tout a changé.
- Leurs équipes se sont mises à penser au lieu d’exécuter
- Les solutions sont devenues plus robustes (plusieurs cerveaux)
- Les retards ont diminué (pas d’attente)
- L’engagement a grimpé (les gens se sentaient utiles)
Conclusion
La bonne nouvelle ? Vous n’êtes pas obligé de choisir aujourd’hui.
Vous avez une décision à prendre.
Rester un excellent gestionnaire technique : résoudre les problèmes, contrôler la qualité, imposer les solutions.
Ou devenir un leader facilitant : faire grandir votre équipe, multiplier votre impact, créer une organisation résiliente.
Ces 5 postures ne s’apprennent pas à l’école. Elles se pratiquent.
Commencez demain :
- Posture 1 : Dans la prochaine réunion, posez une vraie question au lieu de donner la réponse
- Posture 2 : La prochaine directive, clarifiez l’intention au lieu du comment
- Posture 3 : Quand quelqu’un vous apporte un problème, posez 3 questions avant de solutionner
- Posture 4 : Établissez un cadre clair pour 1 type de décision, laissez l’équipe décider sans vous
- Posture 5 : Reconnaissez quelqu’un pour avoir aidé les autres
Petit à petit, vous allez sentir le changement. Et votre équipe aussi.